C. Levillain: Vaincre Louis XIV

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Titel
Vaincre Louis XIV. Angleterre – Hollande – France. Histoire d’une relation triangulaire (1665–1688)


Autor(en)
Levillain, Charles-Édouard
Reihe
collection Époques
Erschienen
Seyssel 2010: Champ Vallon
Anzahl Seiten
452 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Guillaume Poisson

Une nouvelle étude sur Louis XIV et sa diplomatie ne semblait pas s’imposer après les travaux de Burke et de Bély ou plus récemment ceux de Hasquin. Néanmoins, ce nouveau volume de la collection «Époques, Histoire» aux éditions Champ Vallon est étonnant et nous ne pouvons que nous réjouir de la publication de cette étude de Charles-Édouard Levillain. Les recherches menées par cet auteur sont considérables – une enquête dans vingt-cinq bibliothèques et dépôts d’archives à travers l’Europe et les États-Unis – et les résultats s’avèrent à la mesure du vaste travail accompli. En moins de 500 pages, un vide historiographique vient d’être comblé par cette analyse décentrée – à partir des deux principaux rivaux en Europe du Nord (la Hollande et l’Angleterre) – de la politique étrangère de Louis XIV pour la période 1665–1688.

Le travail de Charles-Édouard Levillain se structure en trois grandes parties rigoureusement argumentées et élaborées au travers d’une trame chronologique claire. Le premier volet s’ouvre sur l’importante question de la souveraineté des mers. Question majeure en ce XVIIe siècle où l’ancienne règle du Mare liberumest transformée peu à peu en Mare clausum par l’Angleterre. Si cette «nouvelle Venise» semble bien décidée à imposer sa souveraineté maritime, cette aspiration ne s’est pas faite sans heurts. Ch.-Éd. Levillain excelle dans la restitution des contextes, tout comme dans l’évaluation des enjeux politiques – intérieures et extérieures – des deux premières guerres anglo-hollandaises qui en découlent. Ici encore, l’analyse décentrée apporte un regard neuf et permet une étude plus fine du rôle militaire et politique de Louis XIV dans ces affaires du Nord. La mer constitue un espace vital aussi bien par son rôle sécuritaire que par son rôle dans l’économie. Parallèlement à cela et sous l’action de Colbert, la France s’impose de plus en plus comme une puissance maritime dans les années 1660 face à l’Angleterre et à la Hollande. Cette étude triangulaire offre également une intéressante analyse de théorie économique mise en oeuvre par ces trois acteurs: le mercantilisme.

Au sein de la seconde partie de son étude, Ch.-Éd. Levillain aborde plus particulièrement la troisième guerre anglo-hollandaise (1672–1674) avec une approche qui dépasse la vision bipolaire traditionnelle et apporte ainsi plusieurs éléments novateurs dans l’interprétation des faits. Si le facteur religieux joue un rôle important dans ce troisième conflit, l’auteur montre les incidences de la guerre sur la politique intérieure de chacun des acteurs. La guerre commerciale contre la France était conçue à l’intérieur de l’Angleterre comme le prolongement de la lutte contre les tentations absolutistes de Charles II – qui ne cache pas son admiration pour le système français –, et à l’extérieur comme la conséquence logique d’une guerre de religion attisée contre Louis XIV. Pour faire face à cette situation de guerre, une partie des Hollandais, quant à eux, aspirait de plus en plus à un exécutif fort, que ne permettait pas la structure politique éclatée des États. Le Stathouder, Guillaume III d’Orange, apparaît donc comme la seule bonne alternative. L’opposition républicaine – attachée à la souveraineté des États des Pays-Bas – tentera de freiner ce «semi-monarque», exerçant une forme de pouvoir personnel. Une certaine radicalisation du mouvement se met alors en place. C’est dans cette atmosphère que le Grand pensionnaire Jean de Witt – chef du parti des États et attaché à la liberté commerciale – sera assassiné par les hommes de Guillaume III le 20 août 1672. L’historien pose ces événements de manière claire, non pour eux-mêmes, mais pour en cerner les impacts sur les modèles de souveraineté de ce triangle «France–Angleterre–Holande» où chacun doit infléchir ou réorienter sa politique au grés des conflits et des influences extérieures. À noter également la finesse de l’analyse de Ch.-Éd. Levillain avec laquelle il met en perspective les aspects culturels de la politique extérieure dans ce jeu diplomatique à trois.

L’étude de ce trio «Louis XIV, Charles II et Guillaume III» permet de saisir sous un jour nouveau l’ambiguïté des souverains anglais dans le jeu des relations internationales; tout comme la détermination – pour ne pas dire l’obsession – du Grand Stathouder à «vaincre Louis XIV». Le point de vue décentré, retenu une nouvelle fois dans le dernier volet de cet ouvrage, et la très bonne maîtrise de l’historiographie anglaise, hollandaise et française permettent une analyse renouvelée de la politique étrangère de la France par ceux qui la combattent «par la guerre et les mots». Une démonstration convaincante illustre avec clarté la fragilité de l’alliance Stuart-Orange et plus particulièrement les contradictions de la fameuse ligue protestante constituée contre l’hégémonie de Louis XIV.

Investigation d’envergure aux résultats riches et fort bien exposés, cette étude de Charles-Édouard Levillain s’impose comme une nouvelle étape dans le renouveau de l’histoire des relations internationales à l’époque moderne. Si son travail permet de mieux comprendre les rivalités et les conflits autour de la mer du Nord dans la seconde moitié du XVIIe siècle, il ne se limite pas à cela. Sans négliger les événements (guerre de Dévolution, guerre de Hollande, Glorieuse Révolution …) ou les grands traités de paix (conférence de Bréda, traité de Nimègue …) de cette première partie du règne de Louis XIV, Ch.-Éd. Levillain souhaite dépasser l’histoire diplomatique bipolaire traditionnelle pour mettre en perspective les enjeux politiques, économiques, culturels et religieux de cette relation triangulaire du Nord de l’Europe. La structure claire et l’argumentation serrée offrent donc une brillante synthèse des recherches polyglottes menées par l’auteur sur un corpus varié et très souvent inédit. Ce volume propose également une substantielle bibliographie en fin d’ouvrage pour approfondir nos connaissances, deux chronologies détaillées, un ensemble de brèves notices biographiques des principaux acteurs politiques mentionnés dans l’étude, mais aussi une annexe composée de cartes et schémas généalogiques. Une approche triangulaire novatrice et rigoureuse qui fera, sans aucun doute, date!

Zitierweise:
Guillaume Poisson: Rezension zu: Charles-Édouard Levillain: Vaincre Louis XIV. Angleterre – Hollande – France. Histoire d’une relation triangulaire (1665–1688). Seyssel, Champ Vallon, 2010. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 3, 2011, S. 387-388

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 3, 2011, S. 387-388

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